Higelin enchante Trenet [Le Trianon - Paris]
A peine 20h. Foule disparate sur le trottoir, dans les escaliers.
"Deuxième étage, bonne soirée."
Perchés dans le ciel du
Trianon. Vue plongeante sur le noir rutilant du piano au milieu de la scène, le
jardin de percussions à sa droite et le discret violoncelle sur la gauche. Tout
est déjà prêt. La salle se remplit.
Premiers applaudissements pour appeler le
maître de soirée. Une fois. Deux fois. Trois fois. Ca ne suffit pas. Un murmure
monte..."Frères Jacques, Frère Jacques, Dormez-vous ? Dormez-vous ?"...Il
tourne. Encore, et encore...Une fois. Deux fois. Trois fois. Notre frère à tous
se laisse désirer.
Et puis...
La nuit se fait dans notre ciel. Le soleil
se lève là-bas, sur la scène. Les trois astres du jour. Ou du soir.
Et tout
de suite, ils réchauffent. La séduction commence. Lui là, au milieu, rayonne
pour les filles aux yeux bleus. Ou noirs. Ou noisette. Ou de toutes les
couleurs.
Quel est cet éclat éblouissant ? Il chatouille, amuse, provoque.
Il s'amuse, respecte, virevolte. Il chante, rêve, parle. Je le suis dans son
rêve...Par quelle magie a-t-il...Soleil magnétique, qui absorbe toute l'énergie
qui l'entoure pour nourrir son chant, son jeu, son inspiration. Etre aimant à l'attraction irrésistible...Mais voilà qu'il
pleut maintenant. Tip et tap tip top et tip. Il pleut oui...Et de nouveau le
soleil. Il darde ses rayons sur les fleurs des amants, sur un joli petit oiseau.
Sur le fil. Sur la rue des Troix-Mages, son marchand de fromage, la table de son
père, la montre de son frère, la bouteille d'eau de Vittel, la coiffe de sa
mère, le fauteuil en dentelle, le cou du coucou. Héritage. Mémoire.
Mémoire
de lune, entre Blanche et Trenet, ennivrés. "Y'aaa d'la joéé, ouais tu parles",
ivre Trenet. Et de jouer à défier l'élocution alcoolique avec "le lent débit des
longs bidons du débit d'eau de Boby." Jouer, s'amuser, là où le bonheur ne passe
qu'une fois...Jouer, s'amuser, chanter, soir et matin. Jouer, s'amuser, rire de
ce débile de Georges André. Oui, Georges André, celui là qui "part pour
Salonique, [...] est reçu par le Sultan, mais comme il sue, c'est insultant."
!!! Alors là, chapeau Monsieur Trenet ! Oui chapeau...
Verlaine vient à la
rescousse. Poésie et sanglots longs des violons reprennent vie. Posés sur l'air
du piano, ether noir et blanc, négatif précieux du passé. Nostalgie, mélancolie,
deux mondes aimés de cet astre fou du soir, qui s'éclipse, "pareil à la feuille
morte".
Le ciel le réclame. Longuement. Il revient paré de ses plus beaux
atours. Il luit de nouveau. De plus belle. "On le déposit" à la porte du domaine
des esprits, devant le grand portail aux lettres d'or, ou plutôt d'argent
("celles de la mer ? Poète oui, mais...") Quelqu'un a vu Trenet ? Oui là, "au
bord de la piscine, en slip bleu électrique...Telle l'otarie...Les langues se
mélangent dans les palais de deux artistes"...On s'envole, on s'évade. Vers un
jardin extraordinaire, où des "canards parlent anglais thank you very much
Monsieur Trenet". Que ceux qui veulent savoir où ce jardin se trouve envole leur
imagination vers le coeur de cette chanson...
Nouvelle éclipse, en mots cette
fois-ci, pour ce fameux rendez-vous entre Lui et Nous, lunes d'un soir. Le
rendez-vous est magnifique, les lumières fusionnent. "Et partout, l'on ne voit
que la nuit, belle nuit, que le ciel merveilleux, tout fleuri, palpitant, tendre
et mystérieux." J'ai ta main dans ma main, et mon p'tit coeur fait Boum. Un Boum
qui gagne toute la salle. Véritable explosion, décuplée par les voix ivres de
bonheur des quelques mille têtes en l'air de ce dernier soir. Soirée champagne.
Le soleil irradie de bonheur, on le sent ému, heureux, pleinement heureux.
A l'origine de l'aube de l'aurore de cette soirée, la poésie d'un Grand, la créativité d'un Enfant, la sincérité d'un Homme, l'amour d'un Passionné, la folie d'un Musicien, le talent d'un Artiste. Et son message et ses mercis, simples et vrais. Garder en soi cette part d'enfant, cette joie de vivre, laissez parler la créativité...Etre là, faire savoir aux Artistes qu'on est là dans leurs périodes de doute et de joie...Etre là pour cueillir les fruits que ces "vieux arbres" proposent. Etre leurs branches. Etre là pour se croiser..."Salut Jacquot, ça va ?".
Le Fou Chantant se conjugue désormais au pluriel.
"Mon Dieu quel sourire à la vie
Mon Dieu merci
Mon Dieu merci d'être
ici."
Monsieur Higelin, où est l'échelle de dromadaires ? J'ai oublié de descendre de votre vaisseau hier soir...